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   Hôm nay Chủ nhật, 24/11/2024 - Ngày 24 Tháng 10 Năm Giáp Thìn - PL 2565 “Tinh cần giữa phóng dật, Tỉnh thức giữa quần mê, Người trí như ngựa phi, Bỏ sau con ngựa hèn”. - (Pháp cú kệ 29, HT.Thích Minh Châu dịch)
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 Thiền Phái Trúc Lâm Việt Nam Thế Kỷ 20-21

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Chương 6 - SOURCE ORIGINELLE DU BUDDHADHARMA

SOURCE ORIGINELLE DU BUDDHADHARMA

Ce texte ne se veut pas une argumentation ni une prise de position dans les querelles d’interprétation des différentes lignées du bouddhisme, mais plus simplement un exposé de ce que je ressens dans ma pratique religieuse. Certains passages sembleront de ce fait peu précis, alors que certains autres seront plus longuement explicités. La prise en compte de ces éléments devrait aider le lecteur à mieux cerner mon point de vue.

La plupart des bouddhistes sont fiers de constater que le bouddhisme est considéré comme la Voie de l’Éveil et de l’Émancipation. Mais comment se réalise cet éveil et de quoi se libère-t-on ? Peu de gens le savent réellement. S’ils ne comprennent pas cette question fondamentale, méritent-ils d’être considérés comme disciple du Bouddha ?

Pour comprendre réellement la réalisation originale de l’Éveil, il est nécessaire de remonter le courant de l’histoire et de rechercher les raisons primordiales qui ont incité le Prince Siddhārtha à tout quitter pour s’engager dans cette quête spirituelle.

LES MOBILES DE LA QUÊTE SPIRITUELLE DU BOUDDHA

En lisant l'histoire du Bouddha, tout le monde se rappelle que le Prince Siddhārtha sortait de son palais par les quatre portes principales. Au cours de ses déambulations, il prit conscience des réalités de la vieillesse, de la maladie et de la mort. Il décida alors de tout quitter pour se consacrer à sa recherche spirituelle. Si on se limite à cette constatation, on n’aura qu’une vue trop superficielle et on ne comprendra pas que c’est là le problème crucial qui motiva sa quête spirituelle. Face à la réalité de la vieillesse, de la maladie et de la mort, Il se posa des questions : « Pourquoi depuis toujours l'homme accepte-t-il cette loi incontournable ? Y a-t-il un moyen de se libérer de ces trois souffrances ? » Ce sont les questions essentielles que toute l'humanité n'a jamais osé soulever jusqu'alors. Désormais, elles occupaient entièrement son esprit.

Tant qu’Il n’eut pas trouvé la solution, Il perdit tout goût pour les plaisirs de la vie. Le palais doré ne fut plus pour lui qu'une prison. Il était en proie à cette question qui l'agitait jour et nuit l'empêchant de bien manger et de bien dormir : « Y a-t-il un moyen de se libérer de la vieillesse, de la maladie et de la mort ? » Cette question hantait tellement son esprit qu’elle apparaissait en toutes lettres sans relâche devant ses yeux rendant son entourage malheureux et inquiet pour son état, mais Il demeura imperturbable. Pour trouver une réponse à cette énigme, Il avait dû renoncer aux délices de sa vie, fuir cette prison où régnait un luxe suprême afin de pouvoir mener à bien cette quête spirituelle.

« Y a-t-il un moyen de se libérer de la vieillesse, de la maladie et de la mort ? » La réponse à cette question constitua un objectif qui continuait à le tarauder sans cesse. Parfaitement conscient des multiples dangers et des difficultés diverses le guettant sur le chemin de la découverte, Il devait partir et trouver la solution, faute de quoi sa vie n’aurait été qu’un arbre mort, qu’un brin d'herbe desséché. Dans un tel contexte, rester dans le palais doré avec sa famille - jolie épouse et enfant sage -, et avec les odalisques et belles suivantes - courtisanes et filles d'honneur -, aurait été un non-sens, et le problème de la vieillesse, de la maladie et de la mort n’aurait jamais été résolu.

LA QUÊTE SPIRITUELLE ET L'ILLUMINATION

Son esprit était tellement assailli par ce questionnement : « Y a-t-il un moyen de se libérer de la vieillesse, de la maladie et de la mort ? » que le Prince Siddhārtha outrepassa tous les dangers. Quelles qu'aient été les circonstances, Il ne se découragea point. Il alla trouver les grands maîtres spirituels de son temps, tels que Ᾱlāra Kālāma** et Uddaka Ramputta** qui lui apprirent successivement les quatre états de Méditation du Calme mental* et les quatre états de Concentration sur le Néant* dont le dernier est la sphère de ni-cognition et de ni non-cognition*. Il réussit à les maîtriser rapidement. Comme l'obtention de ces états ne le satisfaisait nullement pour mener sa quête, malgré les propositions insistantes de ses maîtres spirituels, il décida de les quitter. Il essaya alors la méthode ascétique en espérant qu'avec la pratique de mortifications, Il pourrait atteindre son but. Malheureusement durant ses six années de pratique rigoureuse, Il ne parvint pas à son but. Il abandonna donc l'ascétisme douloureux pour adopter une vie religieuse plus conventionnelle. Il entreprit alors sa propre méditation sous l'arbre Bodhi* et entra graduellement dans des états profonds de méditation.

Après quarante-neuf jours et quarante-neuf nuits consécutifs de méditation, Il réussit à démêler la question qui l'avait hanté pendant onze ans. Il avait percé les mystères de Samsāra* et trouvé la clé pour se libérer de cet asservissement à la vieillesse, aux maladies et à la mort. Ainsi, Il avait transcendé les lois qui régissent la vie humaine depuis son commencement. Ce fut avec une exultation immense qu’Il déclara avoir atteint le Saṃbodhi* d'un être totalement éveillé nommé Bouddha. C'est ainsi qu'Il apporta la réponse à ses doutes : « Pourquoi l'homme devrait-il subir indéfiniment la vieillesse, la souffrance et la mort ? » et « Y a-t-il un moyen de se libérer de la vieillesse, de la maladie et de la mort ? » Désormais, le Bouddha va enseigner le Dharma* à son prochain, lui permettant ainsi de se libérer de la loi universelle : vieillesse-maladie-mort. C'est pour cette raison que le bouddhisme est considéré comme Voie de l'Illumination et de l'Émancipation.

LE BOUDDHA EXPOSE LA RÉALISATION DE SON EVEIL

En premier lieu, le Bouddha est allé à Isipatana**, le parc aux cerfs, témoigner de son Éveil auprès de ses cinq compagnons d'ascétisme dont Koṇḍaῆῆa est le principal du groupe. La naissance, la vieillesse, les maladies et la mort constituent Dukkha* -Souffances.

Dukkha ne se produit pas de façon fortuite, mais provient de racines profondes dont les principales sont l'attachement, la colère, l'ignorance, l'orgueil, la suspicion et la vue erronée, regroupés avec d'autres causes accessoires en Samudaya* - Origines de dukkha.

Pour éliminer l'origine de dukkha sera Nirodha* - Cessation de dukkha, plus connu sous le nom de Nirvāṇa.

Pour supprimer toutes les origines de souffrance, il faut recourir à la pratique du Noble Sentier Octuple* - Magga*.

Dukkha est le fruit dont la graine est Samudaya. Cette Production Interdépendante* de cause à effet engendre le cycle sans fin de morts et de renaissances.

Nirodha est l’effet, Magga la cause. Cette Interdépendance*, une fois disparue, conduira à la cessation de Saṃsāra.

Bouddha a consacré des années à sa quête de la vérité sur la vieillesse, la maladie et la mort. Pourquoi alors les hommes se résignent-ils à les accepter et à toujours continuer ainsi ? Le Bienheureux a bien vu que ces souffrances prennent naissance à partir de Kleśa* - l'attachement, la colère, l'ignorance... Dans cette conjoncture, en coupant les racines de ces poisons mentaux, l'arbre qui porte la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort ne pourra plus survivre. Cependant il faudra, pour cette coupe, la hache bien tranchante qu’est le Noble Sentier Octuple... Cette vue ou compréhension authentiquement juste, relevant au niveau transcendant d'un être illuminé, fait partie des quatre Nobles Vérités* constituant les premiers enseignements de Bouddha.

Dans d'autres circonstances, le Bienheureux expose les douze Origines Conditionnées* comme un cercle à douze anneaux qui tourne en trois temps dans le passé, le présent et le futur, entraînant sans répit l'existence humaine dans le cycle de renaissances. L'enchaînement des phénomènes commence par :

1 De l'ignorance [p/Avijjā ; v/Vô minh] dépendent les formations mentales.
2 Des formations mentales [p/Saṇkhāra ; v/Hành] dépend la conscience.
3 De la conscience [p/Viῆῆāṇa ; v/Thức] dépendent le mental et le physique.
4 Du mental et du physique [p/Nāmarūpa ; v/Danh sắc] dépend la réceptivité des six sens.
5 De la réceptivité des six sens [p/Salāyatana ; v/Lục nhập] dépend la sensation.
6 De la sensation [p/Phassa ; v/Xúc] dépend la perception.
7 De la perception [p/Vedanā ; v/Thọ] dépend la manifestation du désir.
8 Du désir d’attachement [p/Taṇhā ; v/Ái] dépend la saisie ou préhension.
9 De la préhension [p/Upādāna ; v/Thủ] dépend l'existence.
10 De l'existence [p/Bhava ; v/Hữu] dépendent les processus de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort.
11+12 Naissance-vieillesse-maladie-mort [p/Jāti-Jāra-Vyādhi-Maraṇa ; v/Sanh-lão-bệnh-tử].


C'est bien l'enchaînement de la cause à l'effet, et de l'effet à la cause de Saṃsāra* - tout le processus de la naissance, de la vieillesse, des maladies et de la mort - qui se reproduit sans cesse. Si on arrive à couper le premier anneau, l’Ignorance, tous les autres anneaux du cercle se briseront. Ou encore, si nous coupons les deux anneaux médians qui sont le désir d'attachement et la préhension, les derniers se rompront également, et le Saṃsāra cessera. Ainsi, les douze Origines Conditionnées se subdivisent en deux processus, la concaténation qui entraîne le Saṃsāra et la suppression l’ordre inverse qui interrompt le Saṃsāra. Le méditant bien entraîné dans la Vision pénétrante* réalise l'éveil sur la vraie raison de l'existence humaine et fait dissiper l'Ignorance, d’où la suppression du cycle à son anneau initial. La personne qui délaisse l'attachement aux plaisirs, se libère de l'appropriation. Ces deux derniers anneaux du temps présent étant ainsi tranchés, la cause qui engendre la re-naissance disparaîtra. C'est alors que se brisera le cercle à anneaux des douze Origines Conditionnées.

À partir des deux cas précités, le Bouddha a exposé clairement l'origine et l'aboutissement d'une énigme qui fut au centre de sa quête pendant de nombreuses années. Il a affirmé qu'une vision comme celle-là est aussi vraie que le jour et que sa mise en pratique, de façon conforme, donnera des résultats incontestables. Ainsi le Tathāgata* a résolu l'énigme de sa quête spirituelle. Il va alors donner son enseignement aux gens qui ont manifesté la détermination de résoudre le problème de leur naissance et de leur mort. Sa découverte est d'une telle importance que depuis des siècles jusqu'alors, personne, dans toute l'humanité, n'avait osé songer à le résoudre. Une telle découverte sans précédent ne peut être que l’œuvre d’un être doué d'un courage extrême, d'une volonté de fer pour oser poser le problème et soulever la question. Pour cet être extraordinaire, c'est précisément le doute mené à l'extrême qui est à l'origine de son Illumination. Dorénavant, il est bien évident que la clé est maintenant devant nous, il nous suffit de tendre la main pour la prendre afin de pouvoir ouvrir la porte de l’éveil.

DEVANT UN PHÉNOMÈNE S'OFFRENT PLUSIEURS PRATIQUES DE BUDDHADHARMA

Un même phénomène peut être appréhendé de manières différentes selon le Dharma pratiqué. Comme l'essentiel est de faire se dissiper l'ignorance et d’aider les êtres sensibles à se délivrer des différents attachements, le Bhagavant* dispense, pour chaque niveau de compréhension, un enseignement spécifique d'observation et de pratique.

Le maître zen Vân Môn**, pour illustrer cela, se présenta devant un auditoire et montra sa canne en disant : « Les personnes ordinaires voient la canne comme une réalité. Les Auditeurs - Śrāvaka*- l’analysent comme un rien. Les Éveillés Solitaires - Pratyeka-buddha*-, rompus aux exercices de l’Interdépendance Conditionnée* la perçoivent comme une chimère. Les Bodhisattva* la considèrent vide dans sa nature propre. Les Maîtres zen* la voient telle qu'elle est. Aussi, pendant la marche, ils ne font que marcher, et quand ils s'assoient, ils ne pensent qu’à s'asseoir et ne s'écartent pas de cet état. »

Quand les gens ordinaires aperçoivent la canne, ils la croient réelle et commencent à distinguer le beau du laid, puis à aimer ce qui est beau et à détester ce qui est laid. Quand nous aimons quelque chose, nous désirons qu'elle nous appartienne. Cela se nomme le désir de la préhension. Le désir et la préhension conditionnent ainsi l'existence et la naissance-vieillesse-maladie-mort de la prochaine vie. C’est bien en cela qu’ils sont à l’origine du Saṃsāra. Pour dissoudre ce désir d'attachement, le Bhagavant enseigne aux Deux Véhicules* d'utiliser la vision pénétrante* pour reconnaître, à la vue d'une canne, qu'elle est impermanente, aujourd'hui encore bien conservée, demain usée et décomposée pour redevenir néant. Si l'on regarde les choses aussi profondément que cela, l'attachement à celle-ci disparaîtra. Se basant sur la discrimination des phénomènes qui se transforment et se dégradent au cours du temps, on arrivera à se libérer de ce désir de préhension.

Dans le même but de rompre cet attachement, le Bhagavant apprend aux Pratyeka-buddha à observer la canne selon les douze Origines Conditionnées*. La canne prend forme à partir de l'interaction des quatre éléments fondamentaux tels que la terre, l'eau, le vent et le feu. La canne existe grâce au concours de certaines conditions et disparaît une fois que celles-ci ne sont plus réunies. Elle n'est alors pas plus vraisemblable qu'une chimère. Les Pratyeka-buddha voient alors la canne comme une illusion et n'éprouvent plus d'avidité. L'attachement étant ainsi tranché, le Saṃsāra cesse aussitôt.

Les Bodhisattva possédant la connaissance parfaite des Origines Conditionnées n'ont plus besoin de s'y référer pour leurs analyses. En voyant la canne, ils savent que celle-ci n'a pas d'entité intrinsèque réelle, car toutes choses apparentes sont de l’ordre de la vacuité. Avec une telle vision des phénomènes, les Bodhisattva n'éprouvent plus le désir d'attachement à la canne. Ainsi se termine le Saṃsāra.

Quant aux Maîtres zen, lorsqu'ils voient la canne, ils considèrent exactement ce qu'elle est, c’est-à-dire telle quelle est. Pourquoi ? Parce que pour celui qui a réalisé l'essence du zen, l'esprit* ne court plus après les phénomènes. L'esprit restant en équanimité, la canne apparaît tout simplement comme une canne.

Par ailleurs, le suivi de la dégradation dans le temps jusqu'à l'anéantissement de la canne constitue le concept conventionnel enseigné par Bouddha. En suivant ce concept préétabli, on refuse, au temps présent, l'existence « réelle » de la canne. C’est une vision profonde qui transcende la réalité. Cependant, la dépendance temporelle de ce concept risque de rendre pessimistes les pratiquants des Deux Véhicules*. Quant aux Pratyeka-buddha, ils observent la canne selon la Production interdépendante*, c’est-à-dire non réelle comme une illusion, quoique substantiellement existante. C'est aussi une vision modèle du Bouddha qui permet de voir dans l'espace l'interaction entre les entités individuelles. Parler de l'interdépendance des phénomènes, c'est reconnaître que l'objet est « rien » en « lui-même ». Et, comme il est non réel, comment sa nature pourrait-elle être vraie ? De là, on peut réfuter la valeur substantielle de la canne.

Le concept de l'Interdépendance Conditionnée*, issu de l'enseignement de Bouddha, revêt également une apparence annihilable.

Quant au Bodhisattva, il n'a plus besoin d'utiliser cette vision pénétrante car, avec son esprit bien exercé, lorsqu'il regarde la canne, il reconnaît immédiatement qu'elle est « rien ». Cependant, il s'agit également d'un modèle déjà conçu et tiré de l'enseignement du Bouddha.

Le Maître zen opère tout autrement. Quand il voit la canne, il retient simplement l'objet d'une canne, sans laisser s'infiltrer aucune autre pensée et aucune sorte de modèles établis. L'observation de l'existence de la canne telle quelle est se fait avec un esprit d’ainsité*.

Le mental et son objet d'identification, ainsi que la réciprocité, ne subissent aucune interface. Comme l'esprit n'émet aucune pensée, comment la perception du vrai ou du faux pourra-t-elle exister ? Et comme cette dernière n'est pas engendrée, que reste-t-il du désir d'attachement ou de répugnance ? Ainsi, sans désir d'attachement, il n'y aura pas d'appropriation ou de préhension. Il s’en suivra alors la libération des souffrances liées au cycle de la naissance-vieillesse-maladie-mort. L'essentiel, pour le Maître zen, est que, lors du contact avec les phénomènes extérieurs, son esprit n'engendre pas de pensée. C'est pourquoi le dernier vers du psaume du maître de Trúc Lâm "La réjouissance spirituelle dans la vie quotidienne" énonce : "Avec l’esprit non-discriminant vis-à-vis des phénomènes extérieurs, il est inutile de parler du thiền*". C'est décidément la définition la plus concrète du zen.

Le sublime du zen est de pouvoir évacuer tout concept même s'il est aussi juste que les paroles de Bouddha et d'être libéré de toutes interprétations pré-acquises pour regarder les choses telles qu'elles sont, sans émettre aucune sorte de raisons supplémentaires. On est alors en présence d’un être libre et pondéré dont la connaissance ne subit aucune entrave. C'est pourquoi le maître Zen Đạo Giai disait : « En naissant, n'aspirez pas au paradis, et en mourant, ne craignez pas les enfers. Surfez avec détachement sur les trois Mondes*, en surpassant toutes les entraves ».

Après l’exemple de la canne, prenons celui de la rose. En la voyant, les êtres profanes émettent des pensées comparatives concernant, par exemple, la beauté de la fleur, en faisant défiler dans leur mémoire les images du passé afin de les comparer avec celles du présent. Si l'apparence de la rose présente ici et maintenant est inférieure à l'image ancienne, la fleur est jugée laide. En revanche, si elle est supérieure à celle du passé, elle sera décrétée jolie. Cette faculté discriminante nous oblige à retourner sans cesse dans le passé, à trier sans relâche dans notre mémoire une multitude de critères de comparaison. Si à la fin, nous trouvons que la rose est jolie, le désir d'attachement se réveille en nous, nous chercherons à l'acquérir, et si au contraire, elle est laide, l'aversion nous la fera rejeter. Cette façon d’observer la rose relève de la perception sensorielle. Distinguer le beau du laid relève de l'intégration sensorielle qui entraîne le désir, l’attachement et la préhension. Tout ceci conditionne l'origine du cycle de la naissance-vieillesse-maladie-mort de la vie prochaine.

Pour supprimer l'attachement et la préhension, Bouddha enseigna aux Dviyāna* d'observer au cours du temps (la perception temporelle) l'évolution de la rose, épanouie aujourd’hui, fanée demain, pétales détachées le lendemain et tige nue le surlendemain. À partir de la forme présente, la fleur subit sa propre dégradation jusqu'à l'anéantissement complet. Alors rien n'est plus vraisemblable lorsqu'on évoque le beau et le laid (l’intégration sensorielle). L'esprit étant préservé de ce concept dualiste, les sentiments d'affinité ou de répulsion n'auront pas de support pour se développer (Non-attachement). Sans attachement, l'appropriation ne pourra pas prendre corps (Non-préhension). Ainsi, grâce à la contemplation de l'Impermanence*, l'avidité et la préhension disparaîtront, et le Saṃsāra sera rompu.

Les Pratyeka-buddha observent la rose selon la perception spatiale du Bouddha. La rose épanouie est intrinsèquement non réelle, sa forme est réalisée grâce à la configuration de ses pétales et de ses étamines. Elle ne possède pas d'entité propre et se nomme ainsi du fait de l'interaction de plusieurs éléments. Comme elle est conditionnée par cette Production Interdépendante, elle ne peut être considérée que comme une illusion. Par cette vision d'une rose « irréelle », la notion du beau et du laid n'est pas engendrée. Débarrassé de ce concept corrélatif, le désir ne trouvera pas d'attache. Que faire alors de la préhension sans attachement ? C'est grâce à la méditation des Origines Conditionnées que les Pratyeka-buddha arrivent à se défaire de leur désir. Le non-attachement implique donc la cessation de la préhension. Ainsi le Saṃsāra n’est plus alimenté.

Les Bodhisattva excellent dans la contemplation de la Production Interdépendante. Il leur suffit d’une simple mise en présence de la rose (la perception sensorielle) pour reconnaître immédiatement qu’elle est dénuée de nature propre. Cela permet d’affirmer que tout ce qui s’apparente à des formes définies est vacuité. Sans nature intrinsèque, pas de choix à faire entre le beau et le laid (l’intégration sensorielle). Pas d’affect, pas de préférence dans l’attachement. Sans attachement, pas d’engendrement de la préhension. Donc, cessation du Saṃsāra.

A travers ces quatre visions provenant des êtres profanes, des Srāvaka, des Pratyeka-buddha et des Bodhisattva, nous n'avons pas pu identifier la nature fondamentale de la rose. La discrimination des phénomènes s'effectue, soit en se basant sur les illusions du passé, comme le font les êtres ordinaires, soit en se projetant dans le temps futur, comme font les Srāvaka, soit en découpant l’objet en puzzle dans l’espace, comme font les Pratyeka-buddha, soit en suivant le modèle établi, comme font les Bodhisattva. Toutes ces visions, bien qu'elles soient différentes les unes des autres par leur manière de réaliser le Saṃbodhi*, restent toutefois dépendantes des sentiers déjà tracés. Elles ne peuvent ainsi faire ressortir la nature de l’existence réelle des phénomènes.

Quant à la vision du Maître zen, elle est toute autre. Les facultés d'analyse ou de discrimination n'étant pas sollicitées, la rose observée apparaît telle quelle, c'est-à-dire une rose. La fleur est donc identifiée exactement comme elle est apparue. Sans esprit discriminant servant à établir des corrélations, il n'y a pas de formulation de valeurs (l'intégration sensorielle). Sans critères de valeurs, l'affect n'est pas suscité, l'attachement n’est pas produit. Du non-attachement découle la non-réalisation de la préhension. Tout cela conduit à l’extinction du Saṃsāra. La distinction du beau et du laid constitue un concept dualiste qui opérera d’une manière identique pour les sentiments d'amour/aversion ou de préhension/abandon. Tant qu'on garde encore ce concept dualiste, la source du Saṃsāra ne pourra pas se tarir.

Lorsque le Maître zen observe un phénomène, son esprit reste en équanimité. Les pensées n'étant pas émises, les choses sont vues dans leur réelle ainsité. Ainsi, en visitant le maître zen Thiền Lão, le roi Lý Thái Tông lui demanda :
- Ô Vénérable, depuis combien de temps habitez-vous cette montagne ?
Le moine répondit :

Je ne vis qu'au moment présent.
Qui donc reconnaît les saisons d'antan ?

[Chỉ biết ngày tháng này
Ai rành xuân thu trước ]

Le roi poursuivit :
- Quelles sont donc vos tâches quotidiennes ?
Le moine dit :

Bambou vert bleuté, fleurs dorées quel que soit le paysage.
Nuages blancs, lune claire dans toute leur plénitude.

[Trúc biếc hoa vàng đâu cảnh khác
Trăng trong mây trắng hiện toàn chân ]

Qu'il est merveilleux de voir les choses selon leur propre nature. Si nous les observons avec un esprit détaché et serein, sans immixtion d'aucune sorte de sentiments, le concept dualiste vrai/faux, beau/laid, difficile/facile sera dépossédé de son emprise. A ce stade, rien ne nourrit la discussion.

C’est ce qui a conduit la fameuse Linh Chiếu** à dépasser les points de vue de chacun de ses parents Bàng Long Uẩn** dans cette stance : « Ceci n'est ni facile ni difficile, manger uniquement quand on a faim, dormir uniquement quand on a sommeil. » Vivre quotidiennement avec cet esprit d’ainsité*, résoudre selon les besoins des circonstances les problèmes qui surgissent sans esprit calculateur, n'ériger aucun concept, voilà ce qui permet de dire : « Quand j’ai faim, je mange et quand j’ai sommeil, je dors. » Cette vision juste du moment présent se résume ainsi: «Voir juste et comprendre juste.»

QUESTIONS ÉNIGMATIQUES ET EXERCICES DE KŌAN : L’ESSENTIEL DU BOUDDHISME

Le questionnement spirituel se déroule lors de l'entrevue avec le Maître zen pendant laquelle l'adepte lui soumet des questions. Il s'agit d'un ou de plusieurs sujets considérés comme essentiels mais non encore éclaircis au cours de sa quête spirituelle. Le rôle du maître n'est pas d'apporter des solutions, mais de consolider la recherche consciente de l’adepte qui s’intensifie dans le temps pour devenir omniprésente. Le doute une fois poussé à l'extrême, absorbe complètement la conscience du méditant jusqu'à ce que celui-ci oublie tout son environnement, et finit un jour par faire sa "percée" et explose. C'est alors l’éveil, la découverte de l'énigme d'une quête nourrie depuis longtemps. Pour le méditant, il s'agit de la réalisation de la conscience zen*.

La pratique de Kōan relève d’une méthode similaire. Une question énigmatique choisie à partir des sūtra ou de l'enseignement des Patriarches est proposée au disciple zen qui médite longuement et de plus en plus profondément, jusqu'à oublier de manger ou de dormir, au point de provoquer la maturation de conscience avec cette explosion subite qu'est l'éveil correspondant ainsi à la résolution du Kōan. Citons l'exemple de ce Kōan "Toute chose est réductible à l'Un, à quoi l'Un est-il réductible? ". Le doute, nourri dans l'esprit pendant une longue durée, devient tellement intensif que tout autre chose s'évapore de la conscience, hormis ce Kōan qui y règne à lui seul. Voilà l'élément primordial qui amène l'adepte à la réalisation de l’Illumination.

LE SUCCÈS DE L'EXERCICE DU KŌAN  RÉSIDE DANS LA MÉDITATION

Le Bouddha a pu analyser sa quête spirituelle qui l'avait habité pendant onze années consécutives grâce à la pratique de la méditation, et ce depuis son apprentissage avec les maîtres réputés de son temps jusqu'à ce qu'il ait pu réaliser le Sambodhi* au bout de quarante neuf jours et quarante neuf nuits au pied d’un arbre pippal*. Le Saṃbodhi ne survint pas de façon fortuite, mais au prix de nombreuses années d'effort et de concentration aboutissant à l'état non-mental*. C'est seulement lorsque la force du samādhi* est devenue très puissante que la concentration sur un Kōan peut trouver sa force d'éclosion.

Selon la description des sūtra, lorsque le Bodhisattva, assis au pied de l'arbre bodhi*, orienta son esprit vers son passé, Il vit une infinité de ses existences antérieures, réalisant le pouvoir supranaturel qu'est la mémoire des vies antérieures*. Ensuite son esprit s’orienta vers la question de la naissance et de la mort des êtres, Il découvrit instantanément les causes karmiques qui déterminent leur renaissance dans les différents mondes, réalisant la vue céleste ou la vision du saṃsāra*. De même, lorsque son esprit se pencha sur les moyens de libération du saṃsāra, Il appréhenda parfaitement les voies conduisant à la cessation du saṃsāra, réalisant l'extinction des souillures ou des passions* qui masquaient l'Illumination.

Lorsque la force du calme mental se réalise, la Sagesse trouve davantage de facilité pour son développement, comme cela est indiqué dans l'Enseignement sur "l’éthique bouddhique*, la concentration mentale* et la connaissance parfaite*".

L'observance des préceptes éthiques constitue le premier moyen capable de réduire les perturbations environnantes, facilitant ainsi la concentration précise sur un sujet à méditer. Le Samādhi est l'état de calme mental qui n’est ni troublé par le frémissement des " désirs des cinq sens*" ni entraîné par le courant des "sept sentiments"*. Il reste aussi inébranlable qu'une montagne. C'est seulement à ce stade que nous pouvons acquérir la force suffisante pour briser le mur d'ignorance qui obscurcissait notre esprit depuis d’innombrables existences, et appréhender parfaitement le problème que nous cherchons à résoudre. Cela a pour nom la Connaissance parfaite. D'où l'importance de ces trois conditions de l'Émancipation: Sīla, Samādhi, Paῆῆa.

Cependant, le pratiquant zen n’aborde pas dans l'ordre les préceptes éthiques, la concentration mentale et la connaissance parfaite. Ainsi quand il se concentre sur un objectif spirituel, il tient à l’écart toutes les autres préoccupations externes. Cela constitue le Sīla. Il ne se laisse pas troubler par les phénomènes extérieurs (Samādhi). Durant ce calme mental, il vit avec sa sagesse transcendantale, le Paῆῆa. Ce Paῆῆa est la reconnaissance du non-né* qui se réalise dans l'état de calme mental. Celle-ci est encore nommée la reconnaissance du Soi*. Cet état de non-né étant notre propre guide intérieur, le fait de vivre en unicité avec ce "Maître" tout en gardant le contact direct avec tous les événements environnants, nous procure une vision authentique sur les choses. Aussi le deuxième patriache Huệ Khả** a-t-il dit un jour à son maître Bodhi-Dharma** :
- Mon esprit est libéré de tous les états conditionnés.
Le premier patriache chinois lui réplique:
- Prenez garde de ne pas tomber dans le vide!
Huệ Khả s'explique:
- En pleine conscience à tout instant, comment peut-on tomber dans le vide? Bodhi-Dharma lui reconnut l'authenticité de sa réalisation de soi.

Lors du contact quotidien avec les phénomènes extérieurs, si notre esprit ne se laisse pas entraîner par eux et ne subit aucune entrave de leur part, nous atteignons la concentration mentale ; le samādhi qui n’est pas tributaire de la posture assise de méditation ni de l’entrée et de la sortie de la méditation est alors appelé le grand samādhi.

Avec un esprit non-né, non-annihilable, omniprésent et omniscient*, nous accédons à la Connaissance transcendantale. Ce Paῆῆa, cette Connaissance intuitive, nous appartenant depuis la nuit des temps et ne provenant de nulle part, est aussi appelée Connaissance directe ou Compréhension du non-né. Une fois que notre guide a été retrouvé, tous les problèmes deviennent transparents. Dès cet instant, notre perception des choses sera une vue sans discrimination. Tel est le mode de vie du maître zen.

LA MÉDITATION : DÉCOUVERTE, CRÉATION

Méditer signifie éveiller en soi l'esprit d'investigation à l'égard d'un problème essentiel en maintenant l'effort jusqu'à ce que la question finisse par s’éclairer. Le résultat obtenu constitue la découverte d'une énigme qui était occultée jusqu'alors. L'essentiel du zen est donc cette découverte encore nommée le Saṃbodhi* qui est, en fait, le passage de la méconnaissance à la connaissance. En fonction de l'enjeu du sujet à méditer, l'éveil aura des portées différentes. Il en est de même pour les recherches scientifiques. La découverte du savant pourra être plus ou moins importante selon la portée du sujet de sa recherche.

« Hiéron**, le roi de Syracuse avait demandé à un bijoutier de lui fabriquer une couronne royale en or. Comme il doutait de l'honnêteté de cet artisan qui avait utilisé l'amalgame or-argent pour la réaliser, il alla demander l'avis d’Archimède** pour savoir s'il y avait un moyen de découvrir la supercherie sans abîmer la couronne. Le savant eut beau réfléchi pendant longtemps : il ne trouva pas la solution. Un jour, en prenant son bain, Archimède se rendit compte que ses membres immergés dans l'eau perdaient une partie de leur poids. C'est ainsi qu'il découvrit le principe qui porta son nom: " Tout corps plongé dans un liquide subit une poussée verticale, dirigée de bas en haut, égale au poids du liquide déplacé. " Si heureux de sa découverte, il quitta hâtivement sa salle de bains et courut dans la rue en s'écriant "Eureka, Eureka !", c’est-à-dire : « J’ai compris, j’ai compris ! »

La pomme de Newton** qui tombe est un événement fortuit qui aida le physicien à découvrir le principe de l'attraction universelle. Un jour, il était assis sous un pommier en train de réfléchir aux mathématiques. Soudain, une pomme tombant juste devant ses yeux le fit réfléchir sur la force qui attire vers le sol tout objet dans l'air sans l’éjecter en dehors de la Terre. Il se posa alors cette question : "Quelle est donc cette force qui dirige le mouvement de la Lune autour de la Terre, ainsi que celui des planètes du système solaire? " Ce fut les premiers pas de la découverte de la loi de la gravitation universelle qui identifiait la pesanteur terrestre aux attractions entre les corps célestes.

Ces deux histoires nous permettent de comprendre que la découverte des savants naît du fait que la concentration sur un sujet déterminé conduit à la résolution complète du problème. Il en est de même pour l’adepte zen qui, face à une quête de haute importance, se concentre tout autant, lui aussi, jusqu’à la réalisation subite de l’Eveil. Cette illumination est une réalité scientifique ne provenant pas d’une imagination mystique. C’est pourquoi le but du méditant est d’atteindre cet Eveil. Celui-ci n’est autre que la découverte ou la création et non l’enlisement ou la cristallisation du méditant qui devrait attendre jusqu’à la mort pour connaître enfin le résultat de sa pratique. C’est pourquoi, par pratique de méditation, on devra entendre détermination, courage et persévérance, c’est-à-dire oser prendre le risque de mourir afin de pouvoir apprécier ce qu’est la vie.

La méditation forme des hommes courageux capables de découverte ou de création. Elle constitue la pratique essentielle dans la Voie de l'Éveil et de l'Émancipation de soi.

AUCUNE DÉPENDANCE À L'ÉGARD DES ÉCRITURES, UNE TRANSMISSION SPÉCIALE  EN DEHORS DE L’ENSEIGNEMENT

S’interroger sur une question et la suivre suffisamment longtemps jusqu'à ce qu'elle arrive à maturité et explose d'elle-même, voilà ce qu'est l'Eveil. La méthode ne relève pas de l'enseignement issu des sūtra, d'où " aucune dépendance à l'égard des Écritures". La mise en pratique du zen ne se base ni sur "les quatre Établissements de l'Attention* ni sur la méditation sur "la Production Interdépendante*", ou encore sur "la vacuité des êtres et des phénomènes*"..., mais consiste simplement à ne pas laisser notre esprit être envahi par les événements extérieurs. Pour se faire, il ne faut pas émettre de pensées à l'égard des phénomènes extérieurs, d'où "une transmission spéciale en dehors de l’Enseignement". Néanmoins, tant que persistent des questions, l'assujettissement au langage demeure. Dans la tradition zen, affirmer "aucune dépendance à l'égard des mots et lettres" signifie que la récitation ou la prière des sūtra ne sert pas de base pour la pratique.

Aucune poursuite ou aucune discrimination de l’esprit envers des phénomènes extérieurs signifie qu’il s’agit bien "de la transmission spéciale en dehors de l’Enseignement" constituant en réalité le point capital de l'enseignement bouddhique zen. L’essentiel des sūtra consiste à apprendre aux pratiquants à ne pas poursuivre les événements extérieurs et à ne pas s’y s'attacher, ce qui dès lors permet la pacification de l'esprit. Cependant parvenir à cet état, exige du pratiquant l’apprentissage de plusieurs dharma tels que le non-attachement, la méditation sur "l'Impermanence, les impuretés du corps"...afin de pouvoir protéger son esprit des souillure.

L'ultime finalité de l'Enseignement bouddhique réside dans la pratique du zen, à savoir que ce dernier ne suit aucun modèle établi, mais plutôt le chemin de la création. Bien qu'il s'agisse de la voie de création, le zen ne se détourne point du but final de l'Enseignement. C'est pourquoi, tout en faisant mention "de la transmission spéciale en dehors de l’Enseignement", Bodhidharma avait en fait légué au Patriarche Huệ Khả** les quatre tomes du Laṅkāvatāra Sūtra*, et que le cinquième Patriache Hoàng Nhẫn** avait, quant à lui, donné des instructions à Tổ Huệ Năng** sur le Vajracchedikā Sūtra*. Le zen vise directement la voie tracée jadis par Bouddha depuis le premier moment où il a posé la question cruciale : "Pourquoi, depuis toujours, l'humanité accepte-t-elle la naissance-vieillesse-maladie-mort comme une loi incontournable? …Y a-t-il un moyen de se libérer de ces souffrances?" Ce fut la quête que le Bienheureux a nourrie jusqu'au jour de son Illumination.

Aussi, de nos jours, pouvons-nous également nous interroger: Puisque dans les sūtra, il est écrit que "tous les êtres possèdent la bouddhéité*", quelle est donc cette bouddhéité? Si nous poussons ainsi la recherche jusqu'au jour de notre Eveil, comme l'avait fait jadis le Bienheureux, la concordance entre les deux réalisations ne sera plus à démontrer. C'est pour cette raison que la méthode s’intitule " la Voie de l'Esprit de Bouddhéité*". Ainsi, quoiqu'il n’y ait "aucune dépendance à l'égard des Écritures et une transmission spéciale en dehors de l’Enseignement ", le zen représente sans aucun doute le pivot du bouddhisme. C’est le garant de la diffusion de la lignée Buddhacittā*, l'héritier de la Loi authentique bouddhique*, le porteur du flambeau de Buddhadharma*.

GRANDE QUÊTE, GRANDE REALISATION, PETITE QUÊTE, PETITE REALISATION

Selon l’importance de notre quête intérieure, la réalisation de l’Eveil sera grande ou petite. L'interrogation "Avant notre naissance, qui sommes-nous?" est une grande question. Une fois ce problème dépouillé de ses attributs, nous découvrons cet être omniprésent en nous depuis des multitudes d’ères cosmiques*, en d'autres termes nous retrouvons notre "vrai visage originel*" ou la reconnaissance de notre bouddhéité*...

Il peut s’agir aussi de simples questions telles que "Pourquoi les pratiquants bouddhiques devraient-ils choisir le végétalisme comme régime de base ?", ou "Pourquoi devraient-ils pratiquer la méditation?" Nous sommes en présence de ces questions dites minimes pour lesquelles toute réponse sera révélatrice de la portée de notre engagement petit ou grand.

Cependant, ces quêtes et leurs réalisations ne ressemblent pas à la pratique du Kōan*. De nos jours, certains adeptes observent cette pratique avec une telle intensité qu’elle risque de provoquer la surtension ou l'agitation mentale. Cependant, ils sont fiers de considérer la pratique comme issue directement du zen, de la méditation des patriarches, etc., alors que le Bouddha lui-même n'a pas émis de Kōan, pas plus que le premier Patriarche chinois Bodhidharma**, ni le sixième Patriarche Houei Neng**. Cette pratique du Kōan n'était autre qu'un moyen créé et enseigné par les patriarches chinois à l'époque de la dynastie Song**. Pour nous qui pratiquons le bouddhisme, il est primordial de pouvoir reconnaître le vrai sens profond du dharma et de ne pas tomber dans des rituels sclérosants.

CONNAISSANCE ACQUISE, CONNAISSANCE DIRECTE

Dans l’enseignement bouddhique, on distingue deux types de Connaissance. L'une, nommée Connaissance acquise, s'obtient grâce à l'étude de l'Enseignement bouddhique ou à la lecture personnelle des sūtra. Son acquisition est due à l'apprentissage auprès des maîtres ou amis éclairés, ou encore par ses propres moyens d'assimilation. Elle provient des interactions de nos sens avec l’environnement, lesquelles sont ensuite cryptées en mémoire. Ce codage est tout à fait périssable et n’engendre pas de connaissance qui soit vraiment nôtre. En revanche, l'autre Connaissance, dite directe, naîtra d'un esprit qui, une fois totalement pacifié et apaisé de toutes les afflictions, parviendra à la clairvoyance grâce à la pratique de la Concentration mentale, d'où le nom de Connaissance innée*. Cette dernière enfouie jusque-là dans notre inconscient se manifeste une fois dégagée de toutes les afflictions qui nous ont entravées.

Ainsi comme l’énonce le Patriarche Tổ Bá Trượng**: " Si la terre de l'esprit est vacuité*, le soleil de Connaissance brillera". Jadis, le Bhagavant avait pu découvrir l'énigme de sa grande quête grâce effectivement à cette Connaissance. En pratiquant la méditation pendant de nombreuses années, son esprit fut parfaitement pacifié. Puis en posture assise sous l'arbre bodhi*, Il médita sans interruption pendant quarante neuf jours et quarante neuf nuits, et réalisa la Connaissance suprême à la quarante neuvième nuit. Pour cette raison la lignée Thiền* a toujours préconisé le développement de cette Connaissance intuitive, car il s'agit bien de la nôtre issue de nous-mêmes. C’est une entité non-née et non-annihilable.

Prêtons attention à la conversation suivante entre les deux maîtres zen Nham Đầu Toàn Khoát** et Tuyết Phong Nghĩa Tồn**:
Nghĩa Tồn confia :
- Je ne suis pas encore tout à fait serein.
Toàn Khoát répondit :
- Si réellement vous êtes ainsi, faites-moi part de toutes vos perceptions. Si elles sont justes, je vous les confirmerai. Si elles sont fausses, je vous aiderai à les éliminer.
Nghĩa Tồn dit :
- Quand je suis arrivé chez maître zen Diêm Quan**, il montait sur l’estrade pour donner le sermon sur le sens de la Vacuité des formes*. Je découvris tout de suite l'accès.
Toàn Khoát coupa :
- À partir de maintenant et pour trente années encore, évitez d'en parler !
Nghĩa Tồn continua :

- J'ai lu les stances du maître zen Động Sơn** lors de sa traversée d'un ruisseau :
Serait-il louable de chercher ailleurs ?
En s'éloignant , on oublie son propre Soi.
Si " Lui " présent est bien " Moi ",
" Moi " sans doute n'est pas " Lui ".
( " Lui " est le reflet de " Moi " sur l'eau.)

[ Rất kỵ tìm nơi khác,
Xa xôi bỏ lãng ta,
Va nay chính là ta,
Ta nay chẳng phải va.]

Toàn Khoát répliqua :
- Avec cette perception, il n'est même pas possible de se libérer soi-même.
Nghĩa Tồn poursuivit :
- À un autre moment, j'ai demandé au maître zen Đức Sơn**: "Aurais-je ma part de contribution dans le développement de notre lignée ch’an*?"
Đức Sơn m’a donné un coup de bâton en disant:
- De quoi parlez-vous?
A ce moment, j'ai eu le sentiment d'être comme un tonneau percé.
Toàn Khoát s’écria:
- N'avez-vous pas entendu que toute chose provenant de l'extérieur ne peut pas être le vrai trésor intérieur ?
Nghĩa Tồn insista :
- Comment dois-je faire au juste dans l'avenir?
Toàn Khoát répondit :
- Si après, vous vouliez diffuser la Voie de l’Eveil suprême, il faudrait d'abord que vous arriviez à vivre en pleine conscience tous les mouvements émanant de votre for intérieur, à ce moment là, nous pourrions nous unir afin de couvrir le Ciel et la Terre!

A telle enseigne, Nghĩa Tồn réalisa sa compréhension ultime, se prosterna aussitôt en signe de remerciement et se releva en s'écriant :
- Mon cher frère, c'est seulement aujourd’hui ici à Ngao Sơn** que je crois pouvoir réaliser ma Voie !

Ce n'est pas seulement dans la tradition zen que l'on s'intéresse à cette Connaissance immédiate, mais on la retrouve également dans toutes les Écritures sacrées. Lisons maintenant sommairement une partie du quinzième chapitre du Sūtra du Lotus de la Loi merveilleuse*, nommé « Les Bodhisattva surgis du monde terrestre » :
« À cette époque, des Mahā-Bodhisattva venus des autres univers, se levèrent tous ensemble et s'adressèrent au Bhagavant dans une attitude respectueuse, les mains jointes :
- Ô Bhagavant! Nous serions très heureux, avec votre assentiment, d’être en mesure de bien protéger, de bien psalmodier, de bien recopier et de bien faire offrande de cette Loi merveilleuse dans cet univers Sahā*. Lorsque le Tathāgata* sera entré au Nirvāṇa, nous promettons de rester dans ce monde afin de pouvoir la prêcher largement.
Alors Bhagavant leur répondit:
- Chers Vénérables, il est inutile que vous vous occupiez de cette tâche. Dans ce monde terrestre, il existe également des Mahā-Bodhisattva aussi nombreux que le sable de mille fleuves Gange réunis. Chaque Bodhisattva disposant de soixante milliers d'acolytes sera prêt, une fois que je trépasserai, à accomplir la protection, la psalmodie et la propagation de ce Sūtra.
A peine le Bouddha eut-il prononcé ces paroles que ce monde Sahā se mit à trembler, de ces crevasses apparues au sol, il sortit un flot infini de Bodhisattva... »

Le Sūtra du Lotus n'a pas nommé précisément, dans ses textes, les deux Connaissances acquise et directe, mais utilise des métaphores pour nous les suggérer. Littéralement, le Bodhisattva est l'être sensible et illuminé et celui qui aide à amener les autres êtres sensibles à l'Eveil, c'est à dire que les êtres, une fois parvenus à l’Eveil, cherchent à aider également leurs semblables à atteindre l’Eveil. Les Bodhisattva provenant d’autres mondes désignaient l’éveil comme une Connaissance venant de l’extérieur. Le Bhagavant leur avait refusé la protection et la diffusion de ce Sūtra du Lotus en ce monde, car le but de cette Loi merveilleuse est de nous montrer la bouddhéité, cet état-de-Bouddha inné en nous, une Connaissance ne venant point de l'extérieur. Les Bodhisattva surgis de la Terre du Sahā représentaient l’Eveil issu de l'intérieur, la Connaissance directe. C’est justement celle-ci qui n’est autre que la Sagesse du Bouddha*. Ce fut la raison pour laquelle le Bhagavant avait réservé aux Bodhisattva du Sahā la précieuse tâche de divulguer le Sūtra du Lotus dans ce monde.

Nous avons pu constater que les Canons des Écritures et le Zen ont souligné l'importance de cette Compréhension immédiate. Bien que ces deux Connaissances aient été présentées de manière différente, l'adepte bouddhiste devrait avoir la subtilité nécessaire pour faire cette distinction. Néanmoins, pour le début de sa pratique, le novice a besoin de cette Connaissance acquise, comme l'a enseigné le texte canonique sur l'acquisition des trois Connaissances grâce à l’apprentissage suivant: "apprendre, analyser et appliquer*". La Connaissance acquise nous guide sur la bonne voie et nous encourage dans la pratique. Cependant, elle relève d'un savoir non immuable qu'il faut surpasser afin de pouvoir accéder au stade du Non-né de la Connaissance*.

MEDITATION, SOURCE ORIGINELLE DU BOUDDHISME

La Méditation zen suit scrupuleusement la pratique en laquelle Bouddha a lui même excellé jadis, mais semble ne pas se plier à l'Enseignement du Tathāgata*. Le Zen ne pratique ni le Sūtra des Quatre Etablissements de l’Attention* ni les cinq Édifices de la Vision pénétrante de l’esprit* de la Voie des Deux Véhicules*.

Le Zen ne suit pas non plus l'apprentissage de la méditation sur la Production Interdépendante* ou sur la Vacuité de tous les phénomènes conditionnés*. De même, il ne suit pas la méthode de méditation Concentration-Vision Pénétrante du Mahāyāna* de la Voie du Grand Véhicule*.

Néanmoins, le Zen a mis en application directe la pratique du Bouddha qui a débuté avec le questionnement originaire sur les conditions existentielles de l'homme: "Pourquoi l'homme devrait-il subir le processus de naissance- vieillesse-maladie-mort ? Existe-t-il des moyens pour s'en libérer ?" Le Zen utilise cette méthode de questionnement comme le guide premier pour le méditant durant toute sa vie de pratique, et cela jusqu’à ce que l'énigme du problème se découvre subitement comme ce fut le cas pour Bouddha au moment de la réalisation de son Eveil. En suivant parfaitement la Voie tracée par Bouddha, la méditation zen peut être considérée comme " l'héritier de la Voie de l'Esprit-Bouddhéité* ".

Nous pourrons reconnaître cette dernière à travers les récits de plusieurs maîtres zen.

Le maître zen Nghĩa Huyền Lâm Tế**, alors qu'il était encore disciple du patriarche Hoàng Bá**, n'avait pu poser aucune question à son maître, et cela durant les trois années pendant lesquelles il avait séjourné à la communauté. Le Vénérable Trần Tôn Túc Đạo Minh**, qui était son chef d'études, lui proposa une audience auprès du Maître.
Nghĩa Huyền lui demanda :
- Quelle question dois-je lui poser?
Le Vénérable lui suggéra :
- Quelle est l'essence du bouddhisme?
Nghĩa Huyền alla voir le maître et l'interrogea comme on le lui avait conseillé. À peine eut-il fini de poser sa question que Hoàng Bá lui administra trois coups de bâton. Trois fois de suite, il fut renvoyé avec le même traitement. Le pauvre Nghĩa Huyền, plein de chagrin pensa à quitter la communauté. Le Vénérable lui conseilla d'aller faire ses adieux au Maître. Celui-ci lui recommanda d'aller chez maître Chi à la montagne Đại Ngu**. À son arrivée chez maître Đại Ngu, celui-ci lui demanda:
- D'où venez-vous?
- De chez maître Hoàng Bá.
- Quel enseignement vous a-t-il donné?
- Je l'ai interrogé trois fois de suite sur le sens ultime du Buddhadharma* et chaque fois j'ai reçu des coups. Je ne sais quelle faute j'ai pu commettre.
Đại Ngu dit :
- Ce vieux Hoàng Bá a agi comme une grand-mère au cœur compatissant. Il vous a montré l’essence de l'Enseignement. Voulez-vous encore savoir en quoi vous étiez fautif ?
À cette remarque, "l'œil du satori*" de Nghĩa Huyền s'ouvrit, il s'écria:
- Après tout, il n'y a pas grand-chose dans l'enseignement de Hoàng Bá !
Đại Ngu le saisit par le collet et lui dit :
- Petit diable (qui pisse sous le van), il y a un instant vous ne saviez pas encore si vous étiez ou non fautif, et maintenant vous déclarez que l'enseignement de Hoàng Bá est bien sommaire ! Qu'avez-vous donc compris? Parlez vite! Parlez vite!
Nghĩa Huyền Lâm Tế, sans ajouter un mot, lui flanqua trois coups au flanc. Đại Ngu desserra son étreinte et dit :
- Votre maître est Hoàng Bá. Cette affaire ne me concerne en rien.
Nghĩa Huyền s'inclina et retourna ensuite chez Hoàng Bá.

L'essence du bouddhisme, problème soulevé par le Vénérable Trần Tôn Túc dans l’enseignement prodigué à Nghĩa Huyền, est une question de grande importance. En saisissant cette essence du bouddhisme, on comprendra plus aisément l'Enseignement contenu dans les trois Corbeilles*.

Hoàng Bá, éminent maître, en n’adressant aucun mot à Nghĩa Huyền, mais en lui infligeant trois coups de bâton, s'était servi d'un stratagème pour l’obliger à vivre corps et âme avec sa question posée. En recevant les coups de bâton dès la première entrevue, il avait dû souffrir dans toutes ses entrailles, rendant le doute encore plus vif. Après quelques journées d’inappétence et d’insomnie, il fit une deuxième tentative et subit le même traitement qui avait brisé toute sa résistance. Pourquoi le maître ne daignait-il pas répondre à la question? Ce refus laissa des traces profondes dans son subconscient.

À la troisième visite, en guise de réponse, il obtint toujours des coups. Etant dans un état extrême de tourment spirituel qui le sidérait, il fut découragé au point qu'il dut quitter le lieu. Durant son voyage vers Đại Ngu, l'énigme sur l'essence du bouddhisme avait envahi et habité tout son être. Pourquoi cette question essentielle avait-elle mérité une telle bastonnade ? Cette dernière l’avait tellement envahi que son esprit n'avait plus de possibilité d'émettre aucune autre pensée. Elle occupait la totalité du champ de sa conscience. Il suffisait dès lors d'un simple rappel des paroles de Đại Ngu telles que "ce vieux Hoàng Bá a agi comme une grand-mère au cœur compatissant. Il vous a montré l’essence de l'Enseignement. Vous voulez encore savoir en quoi vous étiez fautif !", pour que l'énigme vole en éclats. Nghĩa Huyền Lâm Tế avait dès lors parachevé sa recherche. Il réalisa le sens du stratagème de son maître en s'exclamant : "Après tout, l'enseignement de Hoàng Bá se réduit à peu de chose !". Cette affirmation marquait l'aboutissement d'une longue recherche dans son questionnement. Cet état de maturité est appelé réalisation de conscience zen*.

Le maître zen Tuyên Giám à Đức Sơn** possédait une grande connaissance des Canons des Écritures auxquels il accordait une croyance absolue. Un jour, il fut exaspéré en apprenant qu'il existait une autre voie rapide et simplifiée pour la réalisation spirituelle : « Les moines pratiquent les postures du Bouddha pendant des milliers de kappa*, apprennent ses conduites parfaites pendant des myriades de kappa, sans pouvoir devenir Bouddha. Quelques esprits malins du Sud osaient prétendre "qu'en visant directement l'Esprit humain, on retrouve sa nature innée et on devient Bouddha". En signe de reconnaissance au Bhagavant, se dit-il, je devrais faire une expédition jusqu'à leur repaire afin de pouvoir les exterminer tous. »

C'était cet ardent dessein de protéger la Loi authentique qui lui fit se poser la question : "Pourquoi les pratiquants zen osent-ils affirmer que le retour direct à l’Esprit humain permet la rencontre de soi avec sa bouddhéité?" En projetant d'aller réprimer le zen, la semence du doute avait dû grandir en lui. Se dirigeant vers le Sud, il rencontra, en premier lieu, le maître zen Sùng Tín** à Long Đàm.
Il l'interrogea aussitôt :
- J'ai longtemps entendu parler de Long Đàm - l'Étang du Dragon. Maintenant à mon arrivée, je ne vois ni Étang ni Dragon.
Sùng Tín répondit calmement :
- Vous vous approchez en effet du site.
Dès cet instant, l'orgueil de Tuyên Giám se dissipa complètement. Le dessein de pourchasser les démons l’ayant quitté, le doute naquit en lui :"Comment reconnaître sa propre nature-de-Bouddha innée ?"

Il décida de s’intégrer à la communauté afin de faciliter sa recherche. Cette quête de la bouddhéité le tourmenta sans relâche. Un soir pendant qu'il se tenait debout auprès du Maître, ce dernier lui demanda :
- Il se fait déjà tard. Pourquoi ne rentrez-vous pas?
Il salua le Maître et se retira, mais à peine sorti, il revint aussitôt en disant :
- Il fait nuit dehors.
Le maître alluma une chandelle et la lui tendit. Au moment où celui-ci allait la prendre, le maître la souffla. Aussitôt, Đức Sơn Tuyên Giám réalisa sa conscience zen et s'inclina respectueusement.
Le maître demanda :
- Qu'avez-vous compris?
Il répondit :
- Désormais, je ne me permettrais plus de douter de l'enseignement des grands maîtres zen de ce monde.

Le doute de Đức Sơn partit de cette affirmation : "En retrouvant sa nature innée, on devient Bouddha." Ce doute prit forme à partir du moment où il commença à transporter avec lui tous ses ouvrages bouddhiques, les sūtra pour aller au Sud afin de pourchasser les esprits malins. Une fois qu’il avait compris que les maîtres zen étaient loin d'être de ceux qu'il croyait, il se soumit mais garda encore un doute : "Comment accéder à la réalisation de cette bouddhéité en reconnaissant simplement sa nature innée?" Lorsque Sùng Tín lui suggéra de se retirer et qu’il lui répondit qu’il faisait nuit dehors, son cœur charriait encore de l’insécurité.

L'obscurité évoquée par Đức Sơn s'apparentait à celle de la nuit, mais reflétait également un cœur suspicieux et ombrageux. Sùng Tín connaissant son souci, lui tendit la chandelle allumée; mais, à peine Đức Sơn avait-il touché cette dernière que le Maître l'éteignit en soufflant. Ce geste subit provoqua la dissolution de son doute. Ce fut alors la grande réalisation, c'est-à-dire la reconnaissance de sa pure nature-de-Bouddha intérieure, sans recourir à aucune intervention extérieure. Pour Đức Sơn, cette perception directe ou immédiate de la Bouddhéité constitua ainsi une réalité en soi insoupçonnable. C'est la raison pour laquelle il confia à son maître que "désormais, il ne se permettrait plus de douter de l'enseignement des grands maîtres zen de ce monde ". Đức Sơn avait donc accompli la grande quête de sa vie monastique, nommée Grand Eveil.

Le moine zen Trí Nhàn à Hương Nghiêm** séjourna à la communauté du maître Linh Hựu à la montagne Qui Sơn**.

Un jour, ce dernier lui demanda :
- J'ai entendu que lorsque vous étiez encore chez feu maître Bá Trượng**, vous étiez capable d'apporter dix réponses à une question posée ou une centaine pour une dizaine posée. Cela suppose que vous avez une connaissance susceptible de percer le mystère de l’origine du Saṃsāra. Pourriez-vous m’expliquer maintenant ce qui se passa pour vous avant que vous ayez été mis au monde?"
Ainsi interrogé, il ne sut quoi répondre. De retour dans sa cabane, il fouilla dans tous ses ouvrages étudiés sans pouvoir trouver une quelconque réponse. Il se lamenta : " Le gâteau dessiné n'apaise pas un estomac vide."
Il revint voir maître Qui Sơn pour l'implorer d'expliquer. Celui-ci lui répondit :
- Si je vous le montre maintenant, vous allez me le reprocher plus tard. D'ailleurs, en quoi ce que je dis vous regarde-t-il ?
Il rentra déçu et mit au feu tous ses documents acquis jusqu'alors : "Désormais, il est bon de cesser d’encombrer mon esprit de toutes les Lois bouddhiques, je vais tâcher simplement de mener une vie de moine qui ne s'occupe plus que de son quotidien".

Il fit alors ses adieux à Qui Sơn et alla se fixer à Nam Dương, près de la tombe de Quốc sư Huệ Trung**. Un jour, alors qu'il était en train de désherber, il ramassa un caillou qu'il jeta contre le bambou. Au bruit sec produit par le choc, son esprit s'éveilla subitement.
Il éclata de rire et proféra ce gāthā*:

Un bruit m'a fait oublier toute ma connaissance acquise,
Aucune pratique rituelle n'est alors nécessaire.
La mouvance des choses révèle la voie ancienne,
Sans toutefois tomber dans l'ornière d’une morne quiétude.
Aucune trace n'a été laissée,
Majestueusement maintenus au-delà de toute forme et de tout son,
Ceux qui parviennent à cette Vérité,
font partie de la très haute sphère.

[Một tiếng quên sở tri
Chẳng cần phải tu trì
Đổi sắc bày đường xưa
Chẳng rơi cơ lặng yên
Nơi nơi không dấu vết
Oai nghi ngoài sắc thinh
Những bậc đã đạt đạo
Đều gọi thượng thượng cơ ]

Sur cette question de savoir "ce qui se passa pour lui avant qu'il ait été mis au monde", Trí Nhàn avait été interpellé par maître Qui Sơn. C'était une grande énigme de pouvoir retrouver ce qui s’est passé avant la naissance. Bien évidemment, il n'avait pu trouver la réponse dans aucun ouvrage. En imposant cette question à Trí Nhàn, Qui Sơn l'obligea à vivre intensément avec elle. En l'emportant avec lui dans son refuge en montagne, Trí Nhàn laissa tout de côté afin de s'y adonner pleinement. À la différence des Kōan qui sont pratiqués de nos jours, il avait nourri cette énigme pendant des mois, des années jusqu'à ce qu’elle mûrisse complètement.

Le simple bruit du caillou contre le bambou suffit à déclencher son éveil. C'était la résolution du problème posé par le maître concernant : "ce qui se passa pour lui avant qu'il ait été mis au monde". En effet, il avait retrouvé son vrai visage originel*. Il se libéra alors du cycle du Saṃsāra. En observant que Trí Nhàn était doué d'une intelligence remarquable et d'une sensibilité exquise, Qui Sơn savait qu'il s'agissait d'une connaissance issue d'une formation non immuable et qu'il faudrait l'aider à s'en débarrasser afin qu’il puisse sortir du Saṃsāra.

De nos jours, nous sommes très fiers de notre propre intelligence, croyant que nous pouvons la manipuler à l'infini et nous oublions qu'elle est à l'origine du Saṃsāra. Trí Nhàn avait pu ainsi découvrir sa propre nature innée, sans forme ni apparence, mais présente à tout instant, en dévoilant ceci : " Aucune trace n’a été laissée. Sa propre nature innée est majestueusement maintenue au-delà de toute forme et de tout son."

L'Eveil évoqué ici est la reconnaissance en soi du non-né, non-annihilable, encore appelée la libération dans le futur du processus de la naissance-vieillesse-maladie-mort. C'est bien la voie empruntée jadis par le Bhagavant.

À travers ces trois récits, nous avons constaté que la Méditation applique le même principe que celui utilisé par le Bhagavant. La cause première est la recherche de l'origine du Saṃsāra, l'effet produit est la libération du cycle des renaissances. Le Bouddha Śākyamuni avait pratiqué et réussi ainsi. Les moines zen avaient, eux, pratiqué de la même manière et obtenu le même résultat. Au départ, le Bhagavant souleva un doute spirituel qui, à la fin, se transforma subitement en Illumination. Les moines zen partirent en quête et posèrent leur question essentielle aux maîtres. A la fin, ils arrivèrent en fait à obtenir l'Eveil par leurs propres moyens. C'est pour cette raison que nous osons déclarer que "le Zen constitue la source originelle du bouddhisme".

PAS DE HIERARCHIE DANS LA RÉALISATION DE LA CONSCIENCE ZEN

Pour les méditants zen, tant qu'il y a encore du doute, il y a de l'ignorance spirituelle. Une fois le doute éclaté, survient l'Eveil. De l'ignorance à l'Eveil, il n'y a pas de grade. Autrement dit : "Visant directement l'esprit humain, on retrouve sa nature innée et on devient Bouddha". L'ignorance relève des êtres profanes, l'Eveil relève de Bouddha. Aucun degré n’est apparu entre les deux. À la différence de la Voie de Dviyāna*, dans laquelle il existe des états de Concentration - Vision pénétrante à atteindre dont la réalisation est tout à fait graduelle. Aussi peut-on démarrer avec le premier état de la Méditation*, le deuxième état de la Méditation*, et même accéder à la Sainte Voie* depuis la première étape Sotāpanna* jusqu’à devenir à la fin un Arahat*. Grâce à l’existence de la gradation, il est facile de progresser et de reconnaître son niveau.

En ce qui concerne la voie du Boddhisattva, on peut aussi distinguer dans sa progression l'accomplissement de différents stades, tels que les dix Croyances*, les dix Assises*, les dix Perfections de Vertu*... jusqu'aux dix Terres*, enfin, l'Iso-Illumination*, l'Illumination merveilleuse* correspondant à la réalisation de l’ Eveil (Bouddha).

Bien que soient évoqués les "dix tableaux d’illustration de dressage du buffle*" dans la lignée thiền*, ceux-ci ne décrivent que les différents états de conscience du pratiquant depuis le début jusqu'à la fin de sa réalisation. Ces tableaux ne servent qu’à illustrer temporairement, de façon concrète, l'évolution de l’Esprit du pratiquant et non la gradation de sa propre réalisation.

LA RÉALISATION DE L’EVEIL NE PROVIENT PAS DE LA GRÂCE DIVINE

En Méditation zen, le pratiquant se pose avec détermination pour sa recherche spirituelle, la question essentielle qui le tourmente sans cesse tant que l’énigme n’est pas dévoilée. La durée de cette recherche peut être longue ou courte. Parfois la recherche se décante pendant très longtemps dans le subconscient, mais quand les circonstances favorables sont réunies, l’Eveil jaillit instantanément. Cet Eveil est la résolution d'un problème qui hanta jadis le méditant tout comme ce qui se passa lors de l'Eveil du Bouddha. Le Bhagavant obtint l'Illumination à partir de sa question sur la naissance-mort, question qu'Il avait soulevée depuis le début de son questionnement. L'Eveil résulte d'un long travail de recherche et de pratique persévérante. Cette dernière ne s'écarte pas du but fixé au départ. Lorsqu'on parle de l'Eveil subit, on évoque plutôt le caractère brusque de la révélation, mais c'est aussi grâce au suivi de la pratique quotidienne que l'Eveil peut éclore soudainement.

Cet Eveil n'est certes pas de l’ordre de la bénédiction ou de la grâce divine, mais résulte plutôt d’un entraînement régulier de la pratique. Il en est de même pour l'invention des savants. Leur découverte n'est autre que le fruit de nombreuses années de recherche sur un sujet longuement étudié. Le méditant ne doit donc pas vivre dans l'attente d'un Eveil, mais plutôt garder cette concentration attentive qui, une fois les conditions réunies, déclenchera subitement l'Eveil.
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Pour conclure, il semble exister des points de divergence entre la Méditation zen et l'Enseignement de Bouddha, comme l’illustre l’affirmation zen de la « transmission spécifique en dehors de l’Enseignement… », laquelle a semé le doute dans certains esprits qui croient que le Zen n'appartiendrait pas véritablement au bouddhisme, ou même constituerait son propre "enfant-monstre". En approfondissant nos connaissances sur la Méditation zen, nous découvrons au contraire, que c'est plutôt elle qui a ravivé l'esprit bouddhique. La Méditation zen respecte de façon absolue l’objectif d'Eveil et d'émancipation fixé par le Bhagavant. En effet, le but du méditant est l'Eveil. Sans Eveil, la tâche pour lui n’est pas encore accomplie. Si l'Illumination est représentée par le phare, les pratiquants zen seront des navigateurs dont le regard est rivé sur lui.

La Méditation zen ne suit pas les règles conventionnelles des Canons des Écritures, mais dispose d'une voie propre semblable à celle choisie par Bouddha. L'essentiel du Zen est de raviver la connaissance immédiate innée en nous. En la redécouvrant, nous reconnaissons la bouddhéité, et en la cultivant à la perfection, nous obtiendrons l'Illumination et l'Emancipation. Cette connaissance transcendantale est de même nature que la Sagesse réalisée par Bouddha au pied de l'arbre bodhi.

La découverte ou la création sont les préoccupations principales du Zen. Autrement dit, la réalisation selon une formule déjà établie ne pourra être considérée comme une découverte. Pour qu’il y ait découverte, il faudra tourner et retourner le problème jusqu’à ce que l’Illumination se réalise. C'est pour cette raison que la Méditation ne peut pas être absente sur le chemin de l'Eveil. Comme il s'agit de la découverte, la Méditation est l'esprit même de la créativité. L'invention, la création, la confiance en soi constituent la base fondamentale de la Méditation. Ces trois caractéristiques sont propres à l'homme civilisé et à la société épanouie.

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